> Enseignement : Pourquoi Harvard & le MIT produisent plus que le CEA ?

Publié le par enerli

 

Le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) est un bon exemple de la recherche à la française. Il est intéressant de comparer cette institution à des universités comme Harvard ou le MIT (à Cambridge, dans la banlieue de Boston).

 

Ce qui les distingue n’est pas l’argent.

 

Le budget du CEA (4,2 milliards d’euros) est beaucoup plus élevé que celui de ces grandes universités américaines (2,7 milliards pour Harvard, 1,7 pour le MIT). Pour le prix du CEA nous pourrions avoir Harvard plus le MIT.

 

Ce qui les différencie, ce sont les résultats

 

Le CEA dans les années 1950 et 1960, a joué un rôle éminent dans la mise au point de la bombe nucléaire française. Mais depuis, qu’a-t-il fait ? Personne ne le sait vraiment. Il a développé une filière pour la production d’électricité d’origine nucléaire (la filière graphite-gaz), qui a été abandonnée au profit d’une autre filière, achetée à Westinghouse.

 

Le CEA fait donc de la recherche fondamentale et appliquée. Tout comme Harvard et le MIT. Sur ce terrain, la comparaison n’est pas flatteuse. Le fameux classement de Shanghai, qui place régulièrement Harvard et le MIT dans les quatre ou cinq meilleures universités du monde, ne cite pas le CEA. Mais on peut appliquer ses critères. Une recherche dans l’ensemble des articles publiés au cours des trois dernières années dans Science et dans Nature, les deux plus célèbres revues scientifiques du monde, donne 553 articles avec « Harvard University » ou « MIT », et 14 articles avec « Commissariat à l’Energie Atomique ». Quarante fois moins. Combien de prix Nobel décernés au cours des trente dernières années à des chercheurs en poste à Harvard et au MIT ? 18. A des chercheurs du CEA ? Zéro. Infiniment moins

 

Dans une comparaison entre le CEA et ces grandes universités américaines, il faut évidemment aussi prendre en compte le fait que le CEA ne fait pratiquement pas d’enseignement, alors que Harvard et le MIT forment chaque année plus de 15 000 étudiants (chacun), d’une façon excellente, comme en témoigne le nombre de prix Nobel obtenus par d’anciens étudiants

 

Au total, la comparaison n’est guère à l’avantage du CEA. Le moins que l’on puisse dire est que le contribuable français n’en a pas pour son argent. Pourquoi des gens qui ne sont pas moins intelligents et moins travailleurs en France qu’aux Etats-Unis, et qui n’ont pas moins de moyens, y sont-ils tellement moins productifs ? Quatre pistes peuvent être suggérées :

 

1.  Le CEA est mono-disciplinaire alors que Harvard et le MIT sont pluri-disciplinaires ou même omni-disciplinaires. Au CEA, des physiciens et des chimistes. Dans les deux universités de Cambridge, des physiciens et des chimistes, certes (à preuve les prix Nobel remportés dans ces disciplines), mais aussi des mathématiciens, des économistes, des linguistes, des juristes, des politicologues, des philosophes, des musiciens, des médecins, etc. qui se côtoient quotidiennement, déjeunent dans les mêmes clubs et participent aux mêmes séminaires.

 

2. Les chercheurs du CEA font seulement de la recherche alors que les professeurs de Harvard et du MIT font également de l’enseignement. Ils donnent à leurs étudiants, mais ils reçoivent aussi beaucoup d’eux. Cela est particulièrement vrai pour les thésards qu’ils dirigent et qui démultiplient leurs capacités de recherche. Le modèle français, directement inspiré du modèle soviétique, de coupure entre instituts de recherche qui produisent de la connaissance et universités qui la distribuent, est tout simplement moins fécond que le modèle américain d’universités qui intègrent recherche et enseignement. 

 

3. Harvard et le MIT baignent et prospèrent dans un univers concurrentiel alors que le CEA opère dans un système fonctionnarisé. On rentre au CEA tout jeune, au sortir d’une de nos chères grandes écoles bien françaises, où l’on a été peu ou pas exposé à la recherche. Le CEA doit être, avec la SNCF, l’institution qui emploie le plus grand nombre de polytechniciens. On y fait « carrière » toute sa vie, à l’ancienneté. A Harvard ou au MIT, au contraire, le champ de recrutement est le globe. On fait tout pour attirer les meilleurs chercheurs, d’où qu’ils viennent, et n’être pas Américain n’est nullement un obstacle. Et s’ils ne publient pas assez, on ne les garde pas. Réciproquement, s’ils ne se trouvent pas assez dotés ou payés, ils ne se plaignent pas à leur syndicat, ils acceptent l’offre d’une autre université.

 

4. La recherche à Harvard ou au MIT est libre alors qu’elle est dirigée au CEA. Les professeurs choisissent les sujets de recherche qui les passionnent, guidés par leurs intuitions, leurs itinéraires, leurs envies. S’ils ont besoin d’argent, ils préparent un projet convaincant, et en cherchent le financement en dehors de leur institution. Ni le président ni le chef de leur département n’interviennent dans ce processus. Demandez aux présidentes de Harvard ou du MIT quel est leurs « programme de recherche » : ils n’en ont aucun et ne comprendront même pas votre question. Au CEA, en revanche, on a une structure hiérarchique, avec un directeur général nommé en Conseil des ministres, qui fait en matière de recherches ce que demande son ministre. Il définit un « programme », et le fait exécuter par ses troupes.

 

Ainsi, il y a quelques années, cédant à la mode, la tutelle a décidé que le CEA devait se réorienter vers l’environnement. Exécution. Ce modèle est sans doute bien adapté à la guerre ; on peut penser qu’il ne l’est pas à la recherche scientifique.

 

Il ne s’agit pas ici de mettre en cause la qualité, l’application, les efforts de changement des fonctionnaires du CEA, qui sont sûrement très grands. Mais il faut bien essayer de comprendre le système qui explique leur faible productivité.

 

L’importance stratégique de la recherche, d’une part, la situation calamiteuse des finances publiques, d’autres part, nous l’imposent.

 

Src : Rémy Prudhomme du 21 octobre 2011 © DEBAT&CO

Publié dans ENSEIGNEMENT

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